Memento de l'Aficionado 2018

Michel Volle - Madeleine 2004



Cette année, il était naturel que l'intro du traditionnel Memento d'A Los Toros rende hommage à Victorino Martin Andrés...


La tête du Victorino inconnu

Avant toute chose, dans un souci purement didactique, il faut savoir qu'une course de Victorinos est une Victorinade dont certains éléments peuvent être des alimañas... pour le plus grand bonheur du Sorcier de Galapagar... Victorino. Of course.

On se console comme on peut. A l'heure où l'équilibre des goûts, qui fit jadis (parait-il) la notoriété du Plumaçon, n'est plus qu'une réalité fantasmée par quelques communicants, il est rassurant de penser que la ganaderia de Victorino Martin est la plus emblématique de nos arènes. La plus prisée. Celle qui y lidia le plus de corridas. Une de celles qui y connut le plus de succès. C'est réconfortant, à défaut d'être encourageant.
Le 3 octobre dernier, alors que Mont de Marsan venait de recevoir ses toros pour la vingtième fois, Victorino Martin Andrès est mort. Une légende est née. Après 88 ans d'une vie incroyable que les quelques lignes qui suivent n'ont pas vocation à conter¹. Les hommages, justifiés, se sont succédés. L'on se remémore les succès passés. A Madrid, le meilleur des Victorinos combattus à Las Ventas serait Murciano, le 8 juin 2002, par Luis Miguel Encabo. Sondage à la valeur seulement symbolique. Ce qu'il révèle surtout, c'est à quel point cet élevage a nourri la vie des aficionados, selon les périodes, depuis plus de 50 ans.  
Ici, en ouverture de la Madeleine 1976, la présentation du fer est restée dans les mémoires. Authentique "corrida de jadis" avec au cartel El Puno, Galan et Miguel Marquez qui, solide et sincère, imposa par son sérieux le respect. Les vedettes, elles, n'avaient prévu d'arriver qu'à partir du lendemain. "Avec ce genre de cornus, la corrida redevient un combat et retrouve sa vérité originelle (...). Tant pis pour ceux qui seraient venus dans l'espoir de voir une corrida-ballet. Tant pis pour ceux qui ne savent pas ce qu'ils veulent : des toros d'autrefois et du toreo d'aujourd'hui".² 
En 1982, en pleine période d'euphorie victorinienne³, c'est Cumbrero n°89 qui fut honoré d'un tour de piste, mais c'est Maleton le 106 qui, après avoir renversé la cavalerie, déborda Mendes... et reçut le (deuxième) Prix Paul Dorian⁴. Transformée en mano en mano après la blessure de Palomar, la corrida fut marquée par le triomphe de Ruiz Miguel (un classique). Et la sortie, hilare, de Victorino Martin himself. 
En 1990⁵, on se souvient d'un lot très bien présenté et encasté. Les Victorinos, que l'on n’attend pas forcément au 1er tiers, reçurent 22 piques (certaines en mansos). Difficiles à divers degrés, ils ne trouvèrent pas toreros à leur taille... Curro Vasquez subit une belle bronca (comme il en existait encore à l'époque). Le célèbre banderillero El Formidable s'illustra. Ecrasé sous son cheval (que le 6ème toro retourna comme une crêpe), le picador Demetrio Aguirre se fit casser une jambe. 
Et puis vint la période 1997-2004, Victorino lidiant même deux fois cette année-là pour un total (un record) de 9 corridas en 8 ans : le Sorcier en sauveur de Madeleine ! Peu piquée, la corrida de 1997 fut excellente. Prix Paul Dorian attribué à Heleno n°149  lidié par Pepin Liria ; ce dernier sort en triomphe mais c'est bien El Tato qui laissa le meilleur souvenir et quitta le Plumaçon sous les cris de "Torero ! Torero !" avant le salut final du mayoral. Et oui, ça se passait comme ça avant... Bis pas tout à fait repetita en 1998. Petits et mobiles, les Victorinos enchantent public et aficionados. El Tato (3 oreilles) tient sa revanche et sort a hombros en compagnie du mayoral. Prix Paul Dorian : mention spéciale à l'ensemble du lot. 1999, c'est l'improbable présentation d'un certain Juan José Padilla, Cyclone de Jerez (!), affublé pour l'occasion d'un costume de lumière dépareillé, invité de dernière minute. Pour dépanner. Corrida passionnante, superbe et imposante. JJ (en anglais) s'est "joué la vie pour sortir du trou où il végète depuis l'alternative"⁶: puertas goyalas, naturelles étirées et enthousiasme de tous les instants. Tel l'imperator romain, le Sorcier répond à l'ovation depuis le palco des personnalités. S'il fallait n'en choisir qu'une, 2000 est peut-être l'année de la plus grande Victorinade. L'éclatant triomphe d'El Tato le consacre comme le maitre du genre en ces lieux. Julio Presumido, le mayoral, et Padilla l'accompagnent sur les épaules alors que Pepin, héroïque, est à l'infirmerie. Dans le type de la maison, l'encierro, échantillonnage de caractères, vaut pour sa variété : intouchable, complet et brave, redoutable et qu'il faut dominer, mobile, noblement encasté, toutes les nuances de gris sont représentées. Magnifique toro, Botador n°48 reçoit le Prix Paul Dorian⁷. Après 3 piques, El Tato lui servit des naturelles de toute beauté, amples et inondées de temple, quelques-unes remarquablement serrées. Un sommet. En 2001, la série continue. 17 piques. Tarde entretenue à passionnante. Grande leçon du picador Efren Acosta. Le petit Gargantillo n°157, inlassable répétiteur et merveille de franchise, offre ses 2 oreilles à Stéphane Fernandez Meca. Nouvelle sortie en triomphe du mayoral. Les Victorinos, père et fils, saluent des balcons. Nouveau sauvetage de Madeleine ! L'élevage reçoit son 5ème Prix Paul Dorian ! En 2002, malgré le (nouveau) triomphe de Padilla, c'est un peu la fin de l'état de grâce... 
En 2004, le solo de Meca ne resta pas dans les annales. En 2008, c'est plutôt la despedida de Liria que l’on retient. Plus récemment, Diego Urdiales et Alberto Aguilar ont rappelé que lorsque de fiers toreros consentent à affronter de vrais toros, le reste devient anecdotique. 
20 corridas. 117 toros combattus. 5 vueltas al ruedo. 5 Prix Paul Dorian (sur 14 remis à ce jour). L'histoire de Victorino Martin Andrès au Plumaçon est intimement liée à celle de la Peña A Los Toros, créée en 1975. Sa passion du toro encasté et sa totale indifférence à ce qu'en pensait le mundillo a forgé notre Aficion et celle de beaucoup d'autres, ici plus qu'ailleurs. Alors que chacun y va aujourd'hui de sa théorie fumeuse pour légitimer la tauromachie, la disparition du Sorcier de Galapagar est une invitation...

Et, à A Los Toros, la tête du Victorino inconnu est un hommage à tous ses frères, braves ou moins braves, morts sur le sable de l'arène voisine. Morts pour la tauromachie.
Benoit Piarrine

1 - En attendant la sortie de Domingo Hernandez par Hernandez Domingo, régalez-vous en lisant Victorino par Victorino, édité en français en 20022- Georges Dubos, "Sud-Ouest" du  19 juillet 1976. Citation approximative.3- C'est l'année de la "corrida du siècle" à Madrid et de la grâce de Belador par Ortega Cano4- Créé en 1981, le Prix Paul Dorian est le prix décerné par la Peña A Los Toros au meilleur toro de la Madeleine5- En 1990, Victorino Martin fit combattre tous ses toros en France6- André Marc Dubos, Tendido n°109, août 19997- Sa tête fait actuellement l'accueil à la Régie des Fêtes8- 1976-82-83-90-91-97-98-99-2000-2001-2002-2003-2004(x2)-2008-2013-2014-2015-2016 et 2017 (en septembre)

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A l'occasion de la Madeleine, venez à la Peña Taurine A Los Toros vous procurer la 32ème édition du MEMENTO DE L'AFICIONADO.